Une année 2025 placée sous le signe du retour aux origines
La 78ᵉ édition du Festival de Cannes confirme la tendance d’un cinéma qui puise dans sa propre histoire pour se réinventer. Entre hommages aux classiques et audaces formelles, plusieurs œuvres marquantes s’attachent à redéfinir la genèse du 7ᵉ art. Qu’il s’agisse de fictions narratives ou de réflexions métatextuelles, le fil directeur est le même : interroger les racines du cinéma pour repousser les frontières du langage audiovisuel.
O agente segreto de Kleber Mendonça Filho : le renouveau du film d’espionnage
Dès son quatrième long-métrage, le Brésilien Kleber Mendonça Filho frappe un grand coup. Situé dans une Recife de 1977 teintée par l’ombre de la dictature, O agente segreto mêle habilement le thriller politique, la comédie sociale et le drame familial. Le personnage d’Armando (incarné par Wagner Moura) revient dans sa ville natale pour récupérer son fils et se retrouve pris dans un réseau d’exilés et de traqués sous couvert d’anonymat.
- Une esthétique très « spy movie » rehaussée d’accents rétro et d’une photographie chatoyante.
- Une mise en scène qui glisse sans rupture du suspense à l’introspection, jusqu’à la critique sociale.
- Un traitement des oppositions politique/humain qui interroge la mémoire collective du Brésil.
Ce film prouve qu’en revisitant les codes du polar, on peut accomplir une réflexion historique et identitaire tout en offrant une intrigue parfaitement rythmée.
Die, My Love de Lynne Ramsay : l’intime comme matière cinématographique
La réalisatrice écossaise Lynne Ramsay, déjà saluée pour sa puissance visuelle, signe un drame psychologique sur la dépression post-partum. Porté par une Jennifer Lawrence en état de grâce, Die, My Love explore la fragilité mentale d’une jeune mère à travers des séquences quasi hallucinatoires :
- Des plans rapprochés et un montage en tressage audio-visuel oppressant.
- Une bande-son en contrepoint qui mêle sons dissonants et mélodies intimes.
- Un travail sur la lumière et les ombres, comme pour traduire l’ombre psychologique de la protagoniste.
Lynne Ramsay démontre ici que l’on peut faire du cinéma un vecteur de compréhension des troubles intimes, sans céder ni au voyeurisme ni à la languissence.
Nouvelle Vague de Richard Linklater : le cinéphile face au mythe Godard
Avec Nouvelle Vague, Richard Linklater revient au style épuré et passionné de Jean-Luc Godard. Cette relecture du tournage de A bout de souffle est un manifeste d’amour pour le cinéma de la Nouvelle Vague :
- Une mise en abîme du « faire cinéma », entre coulisses et exigences artistiques.
- Des dialogues ciselés, ponctués de références métacritiques.
- Un usage du noir et blanc et du zoom avant/zoom arrière en hommage aux codifications Godardiennes.
Bien que présenté hors compétition, ce film ravit les puristes et rappelle que la genèse du cinéma moderne demeure une source inépuisable d’inspiration.
Mirrors n.3 de Christian Petzold : la sobriété au service du fantastique
Projeté à la Quinzaine des Cinéastes, Mirrors n.3 regroupe quatre acteurs, une demeure et deux bicyclettes pour plonger le spectateur dans un huis clos psychologique et métaphysique :
- Un récit minimaliste où l’intrigue se déploie par touches imperceptibles.
- Des cadres fixes, cherchant les reflets et les ombres pour créer une tension discrète.
- Une exploration du thème de l’identité et du dédoublement, propre à l’univers de Petzold.
Ce film démontre qu’un dispositif simple, conjugué à une écriture précise, peut atteindre une profondeur émotionnelle rare.
La petite dernière et Eagles of the Republic : fictions engagées
La section officielle recèle également deux films polarisants :
- Eagles of the Republic de Tarik Saleh, troisième volet d’une trilogie sur le Caire, se pose en thriller d’espionnage où s’entremêlent conspiration politique et réflexions sur la mémoire d’un pays en crise.
- La petite dernière d’Hafsia Herzi décrit avec sensibilité la quête d’une adolescente franco-algérienne tiraillée entre sa foi et son homosexualité, donnant une voix rare aux identités minoritaires.
Ces deux œuvres misent sur le cinéma comme vecteur de questionnements sociaux, tout en s’appuyant sur des genres établis.
Alpha de Julia Ducournau : la déception attendue
Enfin, la plus grosse déception de ce cru 2025 est attribuée à Alpha de Julia Ducournau (Palme d’or 2021 pour Titan). Prévue comme un drame post-apocalyptique sur une pandémie analogue à l’AIDS, le film déçoit par :
- Une surcharge visuelle et sonore qui nuit à la finesse du propos.
- Un scénario trop systématique, disséquant la peur du contagion sans apporter de profondeur humaine.
- Un message dont la force symbolique se noie dans une mise en scène trop clinquante.
Malgré un thème fort et l’ambition d’une dystopie d’auteur, Alpha peine à trouver son équilibre entre radicalité formelle et engagement narratif.
Cette sélection à Cannes 2025 révèle un désir unanime : célébrer le cinéma au plus près de ses origines, qu’il s’agisse de revisiter ses codes fondateurs ou de creuser le potentiel politique et social des genres. Entre hommage et innovation, la Croisette montre une fois de plus que le grand cinéma continue de se nourrir de son passé pour éclairer notre présent.