Le président égyptien Abdel Fattah Al Sisi a accordé ce matin une grâce exceptionnelle à l’activiste Alaa Abdel Fattah, symbolique figure de la révolution du 25 janvier 2011. Incarcéré à plusieurs reprises depuis 2006, Alaa Abdel Fattah, ingénieur informaticien et blogueur, retrouvait ainsi la liberté après plus de six ans passés derrière les barreaux. Sa sœur, Sanaa Seif, a exprimé son émotion : « Je n’arrive pas à croire que nous retrouvons enfin nos vies ! »
Un engagement précoce et risqué
Le parcours d’Alaa Abdel Fattah s’inscrit depuis près de deux décennies dans la lutte pour la démocratie et la liberté d’expression en Égypte :
- 2006 : premier emprisonnement sous la présidence de Hosni Moubarak, suite à sa participation à une manifestation en faveur d’une justice indépendante. Il passera 45 jours en détention.
- 2011 : figure centrale des soulèvements de la place Tahrir, il développe des sites et logiciels pour contourner la censure gouvernementale et relaie les événements en temps réel.
- 2013 : sous la présidence démocratiquement élue d’Ahmed Morsi, il est de nouveau arrêté pour avoir organisé un rassemblement, alors que la junte militaire s’apprête à reprendre le pouvoir.
Par ces actions, il acquiert la réputation d’un opposant inlassable à tous les régimes successifs, allant de Moubarak à Morsi, puis à Al Sisi.
Une série d’arrestations et de procès controversés
Après le coup d’État d’Al Sisi en 2014, la répression à l’encontre des dissidents s’intensifie. Alaa Abdel Fattah connaît plusieurs vagues d’emprisonnement :
- Février 2015 : condamné à cinq ans de prison pour « diffusion de fausses informations », il est libéré sous condition en mars 2019.
- Septembre 2019 : nouvelle arrestation, qui marque le début d’une longue séquence de détentions dans différents lieux de privation de liberté.
- 2022 : transfèrement au complexe pénitentiaire de Wadi al-Natrun, l’un des plus vastes du pays, avec des conditions sanitaires particulièrement dégradées.
Malgré ces détentions répétées, l’activiste continue de faire entendre sa voix en publiant clandestinement des écrits dénonçant la torture et l’arbitraire carcéral, notamment dans le recueil Non vous n’êtes pas encore vaincus, traduit et publié en Europe.
Le rôle déterminant de la famille et de l’opinion internationale
Le calvaire d’Alaa Abdel Fattah a mobilisé sa famille et de nombreuses organisations de défense des droits humains :
- Sanaa Seif, sa sœur, condamnée à trois ans de prison pour son engagement, a elle-même mené une grève de la faim pour protester contre l’emprisonnement de son frère.
- Laila Soueif, leur mère, a multiplié les grèves de la faim, notamment à Londres devant le Foreign Office, perdant plus de 40 % de son poids en dix mois avant d’être hospitalisée.
- Associations internationales et diplomates ont exercé des pressions constantes sur Le Caire, dénonçant l’usage de la torture et l’absence de procès équitable.
Ces mobilisations ont contribué à mettre en lumière le cas de l’activiste et à préparer le terrain pour la grâce présidentielle.
Al Sisi, une grâce politique ?
La décision d’Al Sisi intervient après plus de cent mois de détention et alors que le président fait face à des défis économiques et sociaux croissants :
- Refonte politique : cette grâce peut être interprétée comme un geste de conciliation à l’approche de l’élection présidentielle de 2028.
- Pressions internationales : l’Égypte, membre clé du plan de paix au Moyen-Orient, cherche à améliorer son image sur la scène internationale.
- Crise des droits humains : en allégeant symboliquement la répression, le pouvoir tente de désamorcer les critiques portant sur l’arbitraire judiciaire.
Cette décision, saluée par de nombreux observateurs, suscite toutefois des interrogations sur la pérennité de la liberté d’Alaa et sur le sort des milliers de détenus politiques restés derrière les barreaux.
Un symbole pour la société civile égyptienne
La libération d’Alaa Abdel Fattah ravive l’espoir d’un renouveau pour les mouvements pro-démocratie en Égypte :
- Exemple de résilience : son parcours illustre la détermination des activistes face à la répression.
- Répercussions pour la jeunesse : de nombreux jeunes Égyptiens le considèrent comme un modèle de courage et d’engagement.
- Force du réseau numérique : ses stratégies de communication en ligne ont démontré le rôle clé d’internet pour contourner la censure.
En retrouvant la liberté, Alaa Abdel Fattah demeure un porte-voix incontournable pour les voix dissidentes et un catalyseur potentiel pour les futures mobilisations citoyennes.
Les défis à venir
Alors que l’activiste quitte la prison, plusieurs enjeux cruciaux se dessinent :
- Garantir sa sécurité et celle de sa famille, exposées à des représailles.
- Poursuivre le combat pour la libération des autres détenus politiques.
- Conserver l’audience internationale et maintenir la pression sur le pouvoir pour des réformes durables.
Le retour d’Alaa Abdel Fattah sur la scène publique sera sans doute scruté avec attention, tant il incarne un défi pour un régime qui a longtemps cherché à l’effacer.