Une victoire relative pour Andréj Babiš
Le parti ANO (« Action du citoyen mécontent ») remporte les élections législatives en République tchèque avec près de 35 % des voix, soit un bond de huit points par rapport à sa performance d’il y a quatre ans. Son leader, l’ancien Premier ministre Andréj Babiš, figure incontournable de la vie politique tchèque depuis 2014, entend désormais former le gouvernement. Mais son succès reste à nuancer : avec 81 sièges sur 200, ANO se trouve en position de force, mais loin d’une majorité absolue.
Le parcours politique d’un entrepreneur populiste
Milliardaire issu du secteur agricole puis des médias, Andréj Babiš a bâti son image à la fois sur une promesse de renouveau et une forte présence médiatique, souvent comparée à celle de Silvio Berlusconi ou de Donald Trump. Ancien membre du Parti communiste, ex-ministre des Finances (2014–2017) puis Premier ministre de 2017 à 2021, il a cultivé le paradoxe du « renouvellement » par un homme dont la carrière politique est aussi longue que controversée.
Un scrutin dominé par la droite
Ces élections confirment la montée de la droite populiste et souverainiste en Europe : Andréj Babiš s’inscrit au sein du groupe des **Patriotes**, aux côtés de la Ligue italienne, de l’AfD allemande et du Fidesz hongrois. Face à lui, le parti du Premier ministre sortant Petr Fiala, les Conservateurs et Réformistes, est en net retrait et contraint pour la première fois en huit ans à la cohabitation avec des alliés de moindre envergure.
Des partenaires de coalition inédits
Pour gouverner, ANO doit désormais s’allier avec deux forces situées à l’extrême droite :
- Les « Automobilistes pour eux-mêmes » (Trucker Party) : 7 % des voix et 13 sièges. Ils prônent l’abolition des pistes cyclables, des transports publics moins chers et critiquent « l’idéologie » de Bruxelles, tout en restant attachés à l’UE et à l’OTAN.
- Le SPD (Liberté et démocratie directe) : 8 % des suffrages et 15 sièges, en recul par rapport à 2017. Ce parti souverainiste, hostile aux politiques climatiques et sociétales européennes, souhaitait un référendum sur la sortie de l’UE et de l’OTAN.
Bien que Babiš ait espéré un gouvernement monocolore, il doit composer avec ces partenaires pour atteindre une majorité ou, à défaut, obtenir un soutien extérieur.
Les défis d’une coalition à droite
La négociation s’annonce délicate : les « Automobilistes » réclament un axe résolument anti-Bruxelles, tandis que le SPD affiche un programme plus radical sur la neutralité énergétique, prônant le maintien du charbon et du nucléaire tout en rejetant le Green Deal. Or, Babiš ne peut se permettre d’annoncer un virage diplomatique brutal, notamment vis-à-vis de l’Union européenne et de l’OTAN, qui restent des piliers de la politique tchèque depuis 1999.
Les postcommunistes absents du Parlement
Fait notable, l’alliance postcommuniste « Stacilo! » (Assez !) n’a pas franchi le seuil électoral. Cette élimination atténue le risque de bascule à gauche et renforce l’hégémonie des partis conservateurs et souverainistes, tout en écourtant les ambitions de certaines formations radicales jadis proches des 10 %.
Enjeux de politique étrangère
Un des premiers tournants du futur gouvernement portera sur la politique de soutien à l’Ukraine. Babiš, opposé aux livraisons d’armements jugées trop coûteuses, a promis de stopper l’initiative tchèque sur les munitions. Les experts de l’Association pour les affaires internationales estiment cependant que, malgré un discours plus modéré envers la Russie, la République tchèque ne renoncera pas à son ancrage atlantiste. Les relations avec Moscou devraient rester circonspectes, d’autant qu’Andréj Babiš n’entretient pas de liens commerciaux significatifs avec la Russie.
Prochaines étapes : consultations et investiture
Le président Petr Pavel, issu du courant centriste, devra bientôt démarrer les consultations officielles. Il s’exprimera d’abord auprès des chefs de partis représentés, avant de désigner la personne chargée de former le gouvernement. Le calendrier est serré : la première audience est attendue dans les jours qui viennent, tandis que les tractations pourraient s’étirer jusqu’à fin octobre, voire début novembre.
Vers un gouvernement de majorité ou de minorité ?
Plusieurs scénarios se profilent :
- Gouvernement de coalition à large spectre : ANO + Automobilistes + SPD, sécurisé par une majorité confortable mais hétéroclite.
- Gouvernement de minorité : ANO avec appui extérieur du SPD pour faire passer les lois clés, au risque d’une instabilité chronique.
- Accord informel : Babis forme un cabinet restreint, tandis que les « Automobilistes » et le SPD se contentent d’un soutien ponctuel sur certaines réformes.
Quel que soit le modèle retenu, la République tchèque entre dans une phase de recomposition politique majeure, placée sous le signe de la droite populiste et souverainiste, tout en conservant ses traditions atlantistes. Les prochaines semaines seront cruciales pour mesurer la capacité d’Andréj Babiš à convertir sa victoire relative en gouvernance efficace.