Alors que le Digital Markets Act (DMA) est entré en vigueur en novembre 2022 pour réguler les géants du numérique, la Commission européenne songe désormais à étendre ses obligations aux services cloud. Selon des sources proches du dossier, Microsoft Azure, Amazon Web Services et Google Cloud pourraient bientôt se voir imposer les mêmes règles strictes que les plateformes sociales ou moteurs de recherche jugés « gatekeepers ».
Pourquoi un nouveau périmètre pour le DMA ?
Le DMA vise à garantir une concurrence équitable sur le marché numérique en imposant aux « gatekeepers » – ces entreprises dont la taille et l’influence sur le marché sont jugées disproportionnées – un ensemble d’obligations et d’interdictions (auto-préférence, portabilité des données, interopérabilité renforcée…). À ce jour, 23 services de plateformes clés sont listés, répartis en huit catégories (réseaux sociaux, messagerie, moteurs de recherche, intermédiaires, publicité, partage de vidéos, navigateurs, systèmes d’exploitation).
En incluant les fournisseurs cloud, la Commission souhaite répondre à plusieurs enjeux :
- Le peu de concurrence effective dans le secteur du cloud : trois acteurs dominent plus de 60 % du marché européen.
- Les risques de dépendance pour les entreprises clientes, qui organisent l’intégralité de leurs infrastructures IT (stockage, bases de données, calcul) chez un seul fournisseur.
- Les pannes récurrentes (downtime d’AWS en 2020, de Microsoft Azure en 2022), qui ont mis en lumière la vulnérabilité des chaînes critiques.
Des seuils d’application à vérifier
Le DMA impose des critères d’éligibilité pour déterminer si un acteur devient « gatekeeper ». Trois seuils principaux existent :
- Nombre d’utilisateurs actifs par mois : au moins 45 millions de consommateurs.
- Utilisateurs professionnels : plus de 10 000 entreprises clientes.
- Chiffre d’affaires ou valorisation : plus de 7,5 milliards d’euros de chiffre d’affaires en UE ou capitalisation boursière de plus de 75 milliards.
Pour les services cloud, le critère des utilisateurs professionnels est délicat à mesurer. En effet, Amazon, Microsoft et Google ne communiquent pas toujours de statistiques précises sur leurs parts de marché dans chaque pays. Toutefois, leur chiffre d’affaires cloud est sans conteste largement au-dessus des seuils fixés.
Obligations envisagées pour les clouds
Si la Commission valide l’ajout des services cloud au DMA, les fournisseurs devront respecter plusieurs règles :
- Interopérabilité accrue : permettre aux entreprises d’intégrer plus facilement des solutions tierces (bases de données, logiciels SaaS) sans blocage technique.
- Portabilité des données : offrir des outils performants pour migrer d’un cloud à l’autre en conservant structure et métadonnées.
- Interdiction du « lock-in » forcé : stopper les pratiques de bundling abusif (vente groupée de services additionnels non sollicités).
- Transparence des tarifs : publier des grilles claires, éviter les hausses surprises et les frais cachés.
- Neutralité de la plateforme : garantir que les services internes (stockage, IA, machine learning) ne soient pas favorisés au détriment de solutions concurrentes.
Impact sur Microsoft Azure, AWS et Google Cloud
Pour ces mastodontes, l’ajout d’obligations DMA représenterait :
- Une adaptation technique : refonte des API et de l’architecture interne pour respecter l’interopérabilité et la portabilité.
- Une réorganisation commerciale : modification des contrats, simplification des tarifs et suppression des clauses de bundling jugées abusives.
- Un renforcement de la conformité : mise en place d’équipes dédiées au suivi des bonnes pratiques DMA et de contrôles réguliers.
- Un possible rééquilibrage du marché : ouverture à de nouveaux entrants cloud ou aux solutions souveraines européennes, favorisées par des règles plus strictes.
Quelle réaction des autorités nationales ?
Outre l’UE, le Royaume-Uni songe à intégrer les obligations DMA dans son Digital Markets, Competition and Consumers Bill, incluant déjà AWS et Azure. Face à cette convergence, les États-membres pourraient coordonner leurs actions pour surveiller la mise en œuvre et définir des lignes directrices communes.
Enjeux pour les entreprises clientes
Les entreprises utilisatrices de cloud bénéficieraient de plusieurs améliorations :
- Réduction du risque de dépendance : plus d’options techniquement interchangeables entre prestataires.
- Maîtrise des coûts : tarifs plus stables et transparents, sans clauses piégeuses.
- Sécurité juridique : portabilité assurée dans des délais raisonnables, sans crainte de perdre données ou fonctionnalités.
- Émergence d’alternatives : foyers d’innovation pour des clouds souverains ou spécialisés, répondant aux besoins locaux et sectoriels.
La Commission européenne prépare actuellement l’étude de marché qui déterminera les critères d’ajout des services cloud au DMA. L’enjeu sera de taille : encadrer un secteur stratégique pour la souveraineté numérique de l’UE, tout en préservant l’innovation et la compétitivité.
